Pourquoi l’ordre du jour est la clé d’une assemblée générale réussie
Une assemblée générale mal préparée, c’est la porte ouverte aux contestations, aux tensions… et parfois à l’annulation pure et simple des décisions. Or, dans la majorité des cas, le problème vient d’un document pourtant simple en apparence : l’ordre du jour.
L’ordre du jour n’est pas une simple liste de points à discuter. C’est le cadre juridique qui va permettre – ou non – de prendre des décisions valables. S’il est mal rédigé, trop vague, incomplet ou irrégulier, vous offrez un boulevard à tout copropriétaire mécontent pour contester les résolutions devant le tribunal.
La bonne nouvelle ? En tant que conseil syndical ou copropriétaire impliqué, vous pouvez largement sécuriser vos assemblées en travaillant sérieusement en amont sur l’ordre du jour. Voyons comment.
Les règles de base à connaître sur l’ordre du jour
Avant d’entrer dans le pratique, quelques rappels indispensables du cadre légal (loi du 10 juillet 1965 et décret du 17 mars 1967).
L’ordre du jour :
- est établi par le syndic, en collaboration avec le conseil syndical (lorsqu’il existe) ;
- doit être joint à la convocation envoyée aux copropriétaires dans les délais légaux (généralement 21 jours au moins avant l’AG) ;
- doit être suffisamment précis pour que chaque copropriétaire sache sur quoi il va voter ;
- détermine les sujets sur lesquels l’assemblée peut valablement délibérer.
En clair : si un sujet n’est pas inscrit à l’ordre du jour, l’assemblée ne peut pas prendre de décision dessus (sauf rares exceptions pour les questions dites « diverses » qui ne peuvent donner lieu qu’à des échanges, pas à des votes engageants).
C’est donc dès l’étape de la rédaction de l’ordre du jour que se joue la solidité juridique de vos décisions collectives.
Comment préparer l’ordre du jour avec le syndic
L’un des réflexes les plus utiles pour un conseil syndical est de ne pas attendre passivement de recevoir le projet d’ordre du jour du syndic. C’est au contraire un document à co-construire.
Idéalement, plusieurs semaines avant la période prévue de l’assemblée générale, le conseil syndical devrait :
- faire un point sur les sujets en cours (travaux, impayés, litiges, contrats, etc.) ;
- recueillir les demandes et remarques des copropriétaires (par mail, affichage dans le hall, échanges informels) ;
- prioriser les thèmes à mettre à l’ordre du jour en distinguant l’urgent, l’important et le « souhaitable » ;
- transmettre au syndic une liste structurée de questions à inscrire.
Un simple mail du conseil syndical au syndic, listant clairement les points demandés, permet déjà d’éviter les oublis et les formulations floues. N’hésitez pas à proposer vous-même des formulations de résolutions, surtout pour les dossiers sensibles (travaux, changement de syndic, actions en justice, etc.).
Si votre syndic rechigne à collaborer sur ce point, rappelez-lui gentiment que la loi l’oblige à inscrire à l’ordre du jour les questions que lui adressent les copropriétaires (dans certaines conditions de forme et de délai) et que le conseil syndical a un rôle d’assistance et de contrôle dans la gestion de la copropriété.
Les demandes des copropriétaires : comment les intégrer correctement
Tout copropriétaire peut demander l’inscription d’un point à l’ordre du jour. Encore faut-il le faire correctement, sinon le syndic pourra refuser ou, pire, inscrire le point de façon incomplète.
Pour qu’une demande ait des chances d’aboutir, le copropriétaire doit :
- formuler sa demande par écrit (idéalement par lettre recommandée avec AR ou mail avec accusé de réception, selon les usages de la copropriété) ;
- préciser clairement l’objet de la question ;
- proposer un projet de résolution, pas seulement une question vague ;
- transmettre sa demande suffisamment tôt avant l’envoi des convocations.
Exemple de demande mal formulée :
« Je souhaite que l’on parle des nuisances sonores de l’appartement du 3e. »
Exemple de demande bien formulée :
« Je demande l’inscription à l’ordre du jour du point suivant : ‘Décision d’engager une procédure judiciaire à l’encontre du copropriétaire lot n° XX pour trouble anormal de voisinage (nuisances sonores répétées) et autorisation donnée au syndic pour mandater un avocat et agir au nom du syndicat des copropriétaires’. »
Vous voyez la différence ? Dans le premier cas, on peut discuter pendant une heure… sans pouvoir voter quoi que ce soit. Dans le second, l’assemblée peut se prononcer clairement, à la majorité requise, sur une décision précise.
Formuler des résolutions claires et sécurisées
Une résolution mal rédigée, c’est la meilleure façon d’ouvrir la voie à une action en annulation. Les tribunaux sont très attentifs à la clarté de ce sur quoi les copropriétaires ont voté.
Quelques principes simples pour rédiger une résolution solide :
- Précision : indiquer clairement ce qui est décidé, par qui, comment, et dans quels délais si nécessaire.
- Un seul objet par résolution : éviter les « paquets cadeaux » où l’on mélange plusieurs décisions dans un seul vote.
- Référence au cadre légal : si besoin, mentionner l’article de la loi ou du règlement de copropriété sur lequel s’appuie la décision.
- Montants et conditions : pour les travaux et contrats, indiquer les coûts, les entreprises retenues, la durée du contrat, etc.
Exemple de mauvaise formulation :
« Vote sur les travaux de ravalement. »
Meilleure formulation :
« Décision de réaliser les travaux de ravalement des façades de l’immeuble selon le devis de l’entreprise X en date du … pour un montant de … € TTC, autorisation donnée au syndic de signer le marché et de représenter le syndicat des copropriétaires auprès des entreprises, et décision de répartir le coût des travaux selon les tantièmes généraux. »
Dans ce second cas, si un copropriétaire conteste, le juge pourra facilement vérifier si la résolution est suffisamment claire et si les copropriétaires savaient sur quoi ils votaient.
Les points incontournables à inscrire chaque année
Certains sujets reviennent obligatoirement à chaque assemblée générale ordinaire. Les oublier, c’est s’exposer à des difficultés pratiques et juridiques.
Parmi les incontournables :
- l’approbation des comptes de l’exercice écoulé ;
- le vote du budget prévisionnel ;
- la désignation (ou la confirmation) des membres du conseil syndical ;
- la désignation du syndic (si son mandat arrive à terme) ;
- les questions relatives aux contrats importants (contrat de chauffage, d’ascenseur, d’entretien des parties communes, etc.) ;
- les éventuelles mises en conformité (sécurité, accessibilité, diagnostics obligatoires).
Sur ces points récurrents, le conseil syndical a tout intérêt à demander au syndic, en amont, les documents préparatoires : projet de budget, comptes détaillés, projets de contrats, etc. Cela permet de vérifier que les résolutions proposées correspondent bien à l’intérêt de la copropriété.
Travaux, gros dossiers : anticiper pour éviter les mauvaises surprises
Les décisions de travaux importants (ravalement, toiture, rénovation énergétique, changement de chaudière, etc.) nécessitent une préparation encore plus rigoureuse. Là, l’ordre du jour doit être pensé plusieurs mois à l’avance.
Avant même l’AG, il faudra en général :
- faire réaliser des devis par plusieurs entreprises ou un diagnostic par un professionnel ;
- présenter les devis au conseil syndical, voire organiser une réunion d’information avec les copropriétaires ;
- prévoir l’échelonnement des appels de fonds pour ne pas mettre en difficulté la trésorerie des copropriétaires ;
- anticiper les majorités requises selon la nature des travaux (simple entretien, amélioration, rénovation énergétique, etc.).
La bonne pratique : inscrire plusieurs résolutions distinctes pour un même chantier :
- une résolution sur le principe des travaux (souvent avec plusieurs options : ne rien faire, faire une intervention limitée, réaliser un projet plus ambitieux) ;
- une résolution sur le choix de l’entreprise (avec rappel des devis en compétition) ;
- une résolution sur le financement (appels de fonds, éventuel emprunt collectif, etc.).
Cette découpe permet à l’assemblée de ne pas être « coincée » : par exemple, elle peut voter le principe des travaux mais renvoyer à une AG ultérieure le choix définitif de l’entreprise si les devis ne sont pas satisfaisants.
Le piège des « questions diverses » : ne pas en attendre trop
Beaucoup de copropriétaires pensent qu’on peut tout régler en « questions diverses » si on a oublié d’inscrire un point à l’ordre du jour. Erreur classique.
Les « questions diverses » permettent uniquement :
- d’évoquer des sujets mineurs ou d’information ;
- de préparer des décisions pour l’assemblée suivante ;
- d’échanger sur des problèmes concrets du quotidien.
Elles ne permettent pas de prendre des décisions engageant le syndicat des copropriétaires (travaux, contrats, actions en justice, modification du règlement de copropriété, etc.). Toute résolution votée sous couvert de « questions diverses » s’expose à une annulation par le juge.
Vous avez un sujet important à traiter ? Il doit apparaître clairement et précisément à l’ordre du jour, pas se cacher en fin d’AG sous une formule vague.
Les majorités de vote : adapter la rédaction à la règle applicable
Autre point clé pour sécuriser vos décisions : connaître (ou au moins vérifier) la majorité requise pour chaque type de résolution et rédiger en conséquence.
Selon les cas, la loi impose différentes majorités (article 24, article 25, article 26, double majorité, unanimité…). Sans entrer dans le cours de droit complet, retenons une chose : il est utile de rappeler dans l’ordre du jour la majorité applicable à chaque résolution, au moins pour les questions sensibles.
Exemple de formulation sécurisée :
« Décision, à la majorité de l’article 25 de la loi du 10 juillet 1965, de réaliser les travaux suivants… »
Cela permet au syndic et au président de séance d’appliquer correctement les règles de vote et de limiter les risques d’erreur de majorité… qui sont une cause fréquente d’annulation d’AG.
Rôle du conseil syndical pendant l’AG : garder l’ordre du jour comme fil conducteur
Une fois l’ordre du jour bien préparé, encore faut-il le respecter pendant l’assemblée. Le président de séance, le bureau, le syndic et le conseil syndical doivent veiller à :
- suivre l’ordre des points sans en sauter ou en modifier le contenu à la volée ;
- éviter les digressions interminables qui noient le sujet et épuisent l’assemblée ;
- recentrer les débats quand on s’éloigne trop de la résolution à voter ;
- refuser les votes sur des sujets non inscrits (ou proposer de les inscrire pour l’AG suivante).
L’ordre du jour est votre feuille de route. S’y tenir, c’est aussi une façon de montrer du sérieux dans la gestion de la copropriété, ce qui rassure beaucoup de copropriétaires peu présents mais très attentifs aux décisions prises.
Comment limiter les risques de contestation après l’AG
Une grande partie des recours en justice après assemblée générale portent sur :
- un défaut de notification ou de délai dans l’envoi de la convocation ;
- un ordre du jour imprécis ou trompeur ;
- une erreur dans la majorité appliquée ;
- une décision prise sur un sujet non inscrit clairement.
En travaillant sérieusement l’ordre du jour, vous traitez déjà la moitié de ces risques. Pour aller plus loin :
- conservez les mails et échanges avec le syndic et les copropriétaires sur la préparation de l’ordre du jour ;
- vérifiez systématiquement les projets de convocations avant envoi (le conseil syndical peut le demander) ;
- relisez attentivement le procès-verbal d’AG et son adéquation avec l’ordre du jour (mêmes formulations, mêmes résolutions) ;
- demandez au syndic de rectifier sans délai toute erreur matérielle constatée.
Un copropriétaire mécontent existe dans presque chaque immeuble. Votre rôle n’est pas de l’empêcher d’être mécontent… mais de limiter au maximum ses chances de faire annuler des décisions utiles à la collectivité.
En pratique : la check-list d’un ordre du jour bien ficelé
Pour terminer de façon concrète, voici une petite check-list que vous pouvez garder sous le coude avant chaque AG :
- Les délais légaux d’envoi des convocations sont-ils respectés ?
- Le conseil syndical a-t-il participé à la préparation de l’ordre du jour ?
- Toutes les demandes de copropriétaires ont-elles été examinées et intégrées le cas échéant ?
- Les résolutions sont-elles formulées clairement, avec un seul objet par résolution ?
- Les montants, devis, entreprises, durées de contrats sont-ils précisés pour les décisions financières ?
- Les majorités de vote applicables sont-elles identifiées, surtout pour les points sensibles ?
- Y a-t-il les points obligatoires : comptes, budget, conseil syndical, syndic, contrats principaux ?
- Les travaux importants ont-ils été suffisamment préparés (diagnostics, devis, information des copropriétaires) ?
- Les « questions diverses » sont-elles limitées à de l’information ou des sujets mineurs ?
Si vous pouvez répondre « oui » à la majorité de ces questions, vous avez déjà fait un grand pas vers une assemblée générale plus sereine, plus efficace et, surtout, juridiquement sécurisée.
Au fond, un bon ordre du jour, c’est un peu comme un bon règlement intérieur d’immeuble : quand il est clair et bien pensé, tout le monde gagne du temps, de l’énergie… et quelques cheveux blancs en moins.

