Pourquoi les normes incendie sont un sujet sensible dans les immeubles anciens
Dans beaucoup d’immeubles anciens, la sécurité incendie est un peu le “parent pauvre” de la copropriété : on repousse, on bricole, on met un petit extincteur dans l’entrée et on se rassure. Jusqu’au jour où survient un départ de feu dans une cave, un court-circuit dans une gaine technique, ou un voisin qui laisse brûler une casserole…
En copropriété, l’incendie n’est pas seulement un drame humain potentiel, c’est aussi :
- une source de responsabilité civile et pénale pour le syndic et le conseil syndical,
- un risque de refus d’indemnisation ou de limitation par l’assureur,
- un coût de remise en état colossal pour l’immeuble.
Les immeubles anciens n’ont pas été conçus avec les mêmes exigences que les constructions récentes. Escaliers en bois, cages d’ascenseur ouvertes, gaines techniques mal compartimentées, portes d’appartement d’époque : autant de faiblesses structurelles qu’il faut appréhender avec réalisme… et méthode.
Que prévoit la réglementation incendie pour les immeubles d’habitation ?
Les principales règles applicables aux immeubles d’habitation collectifs se trouvent notamment dans :
- le Code de la construction et de l’habitation (CCH),
- l’arrêté du 31 janvier 1986 relatif à la protection contre l’incendie des bâtiments d’habitation,
- certains arrêtés ou règlements locaux (préfecture, mairie), selon les communes.
Ces textes font une distinction selon la hauteur de l’immeuble :
- Immeubles de faible ou moyenne hauteur : la majorité des copropriétés anciennes (moins de 28 mètres de hauteur, soit grosso modo jusqu’à R+7).
- Immeubles de grande hauteur (IGH) : très réglementés, souvent déjà suivis par des bureaux de contrôle spécialisés.
La plupart des copropriétés anciennes “classiques” sont dans la première catégorie, mais ce n’est pas une raison pour se relâcher. L’arrêté de 1986 impose déjà des obligations sur :
- la résistance au feu des parois (murs, planchers, portes),
- les circulations communes (escaliers, halls, couloirs),
- le compartimentage (limiter la propagation du feu),
- les installations techniques (gaz, électricité, ventilation),
- l’information des occupants et l’évacuation.
Immeuble ancien : quelles obligations concrètes pour la copropriété ?
En pratique, un immeuble ancien en copropriété doit respecter un certain nombre de points incontournables. Les principaux concernés sont les parties communes, dont le syndicat des copropriétaires est responsable.
1. Sécurité des circulations communes
Les couloirs, escaliers et halls doivent permettre une évacuation rapide, sans être des pièges en cas de fumées. Cela implique notamment :
- des escaliers dégagés (pas de poussettes, vélos, cartons, meubles stockés en permanence),
- des portes d’accès aux escaliers qui ferment correctement et, selon les cas, doivent être coupe-feu,
- des portes palières d’appartements suffisamment résistantes au feu (même si la réglementation est plus souple pour l’existant, les portes “papier” d’avant-guerre posent un vrai problème).
2. Éclairage et signalisation pour l’évacuation
Même dans un immeuble ancien, l’accès et l’évacuation doivent être possibles dans l’obscurité :
- éclairage des parties communes fonctionnel, avec minuterie adaptée,
- éclairage de sécurité dans certains cas (immeubles plus hauts ou à configuration complexe),
- signalisation claire des issues de secours, surtout si un second escalier existe ou si la sortie n’est pas évidente.
3. Installations techniques : électricité, gaz, chaufferie
Les installations techniques d’un immeuble ancien sont souvent le point faible :
- Tableaux et colonnes électriques : doivent être en bon état, protégés, non encombrés et, pour certains locaux techniques, résistants au feu.
- Réseaux de gaz : gaines, conduites, éventuelles colonnes montantes, doivent être entretenues et régulièrement contrôlées.
- Chaufferie collective : local correctement ventilé, portes adaptées, dispositifs de coupure, visites périodiques obligatoires par un professionnel.
4. Compartimentage et propagation du feu
Dans l’ancien, on découvre souvent des “bricolages” dans les gaines techniques ou les planchers :
- passages de câbles percés dans les murs coupe-feu et rebouchés à la mousse polyuréthane non adaptée,
- trappes de visite qui ne sont pas coupe-feu,
- portes de caves ou de locaux techniques qui ne ferment plus ou ne sont pas adaptées.
Ces points sont cruciaux : une gaine technique ou une cave mal compartimentée peuvent transformer un simple départ de feu en incendie généralisé à tout l’immeuble.
Quels diagnostics et vérifications mettre en place en copropriété ?
Il n’existe pas un “diagnostic incendie copropriété” standard obligatoire comme le DPE, mais divers contrôles et vérifications sont fortement recommandés, voire imposés par la réglementation ou les assureurs.
1. Audit de sécurité incendie par un professionnel
Dans un immeuble ancien, le plus efficace est de faire réaliser un état des lieux par :
- un bureau de contrôle spécialisé (Apave, Socotec, Veritas, etc.), ou
- un maître d’œuvre ou architecte habitué aux problématiques de sécurité incendie en habitation.
Ce type d’audit permet :
- d’identifier les non-conformités majeures par rapport aux textes applicables,
- de hiérarchiser les risques (ce qui est urgent, important, et ce qui peut attendre),
- de proposer un plan d’actions phasé, avec estimations de travaux.
Pour un conseil syndical, c’est un excellent outil de travail : on peut ensuite argumenter en assemblée générale avec des éléments objectifs, plutôt que sur des impressions.
2. Vérifications périodiques obligatoires
Selon l’équipement de votre immeuble, certaines vérifications périodiques sont imposées :
- Ascenseurs : contrôles réglementaires, qui peuvent aussi révéler des problèmes sur les gaines (présence de matériaux inflammables, absence de découpe-feu).
- Chaufferie : entretien annuel, contrôle du brûleur, de la ventilation, des dispositifs de sécurité.
- Ventilation, désenfumage (si existants) : essais réguliers, maintenance, tenue d’un registre des interventions.
- Extincteurs, blocs de secours (si présents) : vérification annuelle par une société spécialisée.
3. Visites de sécurité organisées par le conseil syndical
Sans se substituer à un professionnel, le conseil syndical peut organiser des visites semi-annuelles des parties communes pour :
- repérer les encombrements dans les escaliers et paliers,
- vérifier la fermeture des portes de caves et des locaux techniques,
- contrôler le fonctionnement basique de l’éclairage et des dispositifs d’ouverture,
- signaler rapidement au syndic les problèmes constatés.
Une simple fiche de contrôle tenue à jour peut déjà faire une grande différence dans un immeuble ancien.
Travaux incontournables : par où commencer dans un immeuble ancien ?
Face à un audit incendie, beaucoup de copropriétaires prennent peur : liste de travaux longue comme le bras, devis élevés, vocabulaire technique… La clé est de prioriser.
1. Traiter d’abord les dangers manifestes
Certains points ne souffrent pas de discussion :
- tableaux électriques à nu dans des cages d’escalier en bois,
- chaufferie non ventilée, avec porte non conforme,
- locaux poubelles ouverts sur le hall d’entrée,
- portes de caves vermoulues qui ne ferment plus,
- absence totale d’éclairage dans les escaliers.
Ces situations doivent être traitées en priorité, même si cela implique des décisions de travaux en assemblée générale dès la prochaine session.
2. Mettre en sécurité les circulations verticales
Les escaliers et cages d’ascenseur sont des “cheminées” potentielles pour les fumées et les flammes. Dans un immeuble ancien, on peut envisager :
- la pose ou la remise en état de portes coupe-feu aux accès caves, locaux techniques et éventuellement entre hall et escalier,
- la création de sas lorsqu’il existe une cohabitation avec des locaux commerciaux en rez-de-chaussée,
- la mise en place d’un éclairage de sécurité dans les cages d’escalier difficiles d’accès.
3. Revoir le local poubelles et les caves
Les incendies d’immeubles partent très souvent :
- des caves (stockage de cartons, solvants, vieux meubles…),
- du local poubelles (dépôts sauvages, mégot mal écrasé, acte de malveillance).
Dans un immeuble ancien, deux actions sont souvent très rentables en termes de sécurité :
- réaménager un local poubelles fermé, ventilé, séparé du hall par une porte résistante au feu,
- sécuriser les portes de caves (fermetures, matériaux), limiter le stockage de matières hautement inflammables, et rappeler régulièrement les règles aux occupants.
4. Améliorer progressivement la résistance au feu des portes
Changer toutes les portes palières pour des portes coupe-feu peut être coûteux et délicat à imposer dans un immeuble ancien. Mais des solutions intermédiaires existent :
- inciter les copropriétaires à remplacer leurs portes à l’occasion de travaux,
- négocier des tarifs groupés avec un menuisier ou un fabricant,
- commencer par les portes donnant directement sur les escaliers les plus sensibles.
Responsabilités du syndic, du conseil syndical et des copropriétaires
La sécurité incendie en copropriété ne repose pas que sur le syndic. Chaque acteur a un rôle précis.
Le syndicat des copropriétaires
C’est lui qui est juridiquement responsable des parties communes. À ce titre, il doit :
- voter les travaux nécessaires à la mise en sécurité,
- adopter des règles d’usage (règlement intérieur, affichage des consignes),
- maintenir les équipements et installations en bon état.
Le syndic
Le syndic a une obligation de moyens renforcée sur la sécurité :
- inscrire à l’ordre du jour les questions de sécurité incendie dès lors qu’un risque est identifié,
- commander les diagnostics ou audits nécessaires,
- veiller à l’exécution des contrôles périodiques,
- alerter formellement le conseil syndical et l’assemblée en cas de danger grave et imminent.
En cas de sinistre, son inaction face à des risques connus peut engager sa responsabilité.
Le conseil syndical
Le conseil syndical est l’interface de terrain. Son rôle :
- remonter au syndic les problèmes observés dans l’immeuble,
- proposer la réalisation d’un audit ou de devis de mise en sécurité,
- sensibiliser les copropriétaires aux enjeux (réunions, lettres, affiches),
- suivre la réalisation des travaux votés.
Les copropriétaires et occupants
Enfin, aucun dispositif n’est efficace si les occupants n’y mettent pas du leur :
- ne pas encombrer les couloirs et escaliers,
- respecter les consignes dans les caves et le local poubelles,
- entretenir leurs installations intérieures (électricité, gaz, VMC),
- installer des détecteurs de fumée dans les logements (obligatoires depuis 2015).
Assurances et risques en cas de non-respect des normes incendie
En matière d’assurance, les assureurs ne sont pas toujours pressés de payer sans poser de questions… Surtout si l’expertise révèle un non-respect manifeste des règles de sécurité.
Les risques pour la copropriété en cas de manquement grave :
- franchise majorée ou plafonnement de l’indemnisation,
- refus partiel d’indemnisation en cas de faute caractérisée,
- difficultés à se réassurer par la suite, avec hausse des primes.
Côté responsabilité, en cas d’incendie grave avec victimes, les responsabilités civile et pénale peuvent être recherchées :
- du syndicat des copropriétaires,
- du syndic, s’il a manqué à son devoir d’alerte et de mise à l’ordre du jour,
- voire de certains copropriétaires, si leur comportement a déclenché ou aggravé le sinistre.
Autrement dit, investir un minimum dans la mise en sécurité incendie d’un immeuble ancien, ce n’est pas un luxe : c’est une protection juridique collective.
Comment faire accepter des travaux incendie en assemblée générale ?
Sur le papier, tout le monde est pour la sécurité. Au moment de voter des travaux chiffrés à plusieurs dizaines de milliers d’euros, c’est une autre histoire. Quelques pistes pour faciliter l’adhésion :
1. Arriver avec un diagnostic clair et hiérarchisé
Un audit ou rapport structuré, avec :
- les risques classés par niveau d’urgence,
- les références réglementaires,
- plusieurs scénarios de travaux (minimal, intermédiaire, complet),
- des estimations budgétaires réalistes,
permet de sortir du débat “on fait tout / on ne fait rien”.
2. Mettre en avant le rapport coût / risque
Illustrer par des exemples concrets :
- coût d’un incendie dans un immeuble voisin (travaux, relogements…),
- impact sur la valeur du bien en cas de sinistre,
- position de l’assureur (lettres, éventuelles réserves).
Cela permet de montrer que ne rien faire coûte parfois beaucoup plus cher que d’agir.
3. Phaser les travaux
Dans un immeuble ancien, le “tout, tout de suite” est rarement accepté. Proposer :
- une première phase sur les risques critiques (électricité, chaufferie, local poubelles),
- une deuxième phase sur l’amélioration des circulations et des portes,
- eventuellement une troisième phase pour optimiser le confort et la pérennité (remplacement global des portes palières, désenfumage, etc.).
Ce phasage permet de lisser les appels de fonds tout en avançant réellement.
4. Communiquer en amont de l’AG
Un dossier envoyé avant l’assemblée, une réunion d’information avec l’auditeur ou l’architecte, quelques exemples d’incendies récents dans la presse : tout cela contribue à rendre le sujet concret. Le jour du vote, les copropriétaires ne découvrent pas le problème.
Pour aller plus loin dans la mise à niveau d’un immeuble ancien
Mettre un immeuble ancien au niveau des exigences modernes de sécurité incendie est rarement un chantier “one shot”. C’est un processus, qui s’inscrit dans la durée :
- diagnostiquer sérieusement la situation,
- traiter les points critiques dès que possible,
- planifier des améliorations sur plusieurs années,
- entretenir et contrôler régulièrement,
- sensibiliser en continu les occupants.
Un immeuble ancien restera ancien : on ne transformera pas une cage d’escalier 1900 en immeuble neuf RT 2020. En revanche, on peut nettement réduire le risque d’un incendie dramatique, et c’est bien là l’enjeu.
Dans de nombreuses copropriétés, le déclic vient souvent du conseil syndical. C’est lui qui, en se saisissant du sujet, peut faire évoluer progressivement les mentalités et les priorités budgétaires. Et, entre nous, il vaut mieux débattre de la couleur des murs de la cage d’escalier une fois qu’on est sûr de pouvoir encore les voir après un départ de feu.
