Les locations Airbnb et autres plateformes de courte durée se sont invitées dans la vie des copropriétés sans toujours frapper à la porte. Entre opportunité de revenus pour certains et nuisances pour d’autres, le conseil syndical se retrouve souvent en première ligne. Que peut-on réellement faire ? Où s’arrêtent les droits d’un copropriétaire qui loue “en meublé de tourisme” et où commencent ceux des voisins ? Et surtout : comment agir efficacement, sans se transformer en police privée de l’immeuble ?
Airbnb en copropriété : pourquoi ça pose problème ?
Sur le papier, louer son appartement quelques jours à des touristes paraît anodin. Dans la pratique, la répétition des locations de courte durée peut transformer un immeuble d’habitation en quasi-hôtel… sans la moindre concertation.
Les principales difficultés remontées par les conseils syndicaux sont souvent les mêmes :
- Allers-retours incessants dans les escaliers et l’ascenseur, parfois tard dans la nuit.
- Perte de sécurité : codes d’immeuble qui circulent sur Internet, clés confiées à des inconnus.
- Bruits et fêtes improvisées : vacanciers qui “oublient” qu’ils sont dans un immeuble d’habitation.
- Dégradation des parties communes (porte cochère, boîtes aux lettres, moquette d’étage).
- Sentiment de vivre dans un hôtel plus que dans un lieu de résidence.
À cela s’ajoutent des inquiétudes plus structurelles : augmentation du turn-over des occupants, perte de cohésion dans la copropriété, difficultés à tenir des assemblées générales sereines quand une partie de l’immeuble est devenue une activité commerciale déguisée.
Le rôle du conseil syndical est alors double : rappeler le cadre légal et réglementaire, puis organiser la réaction collective de la copropriété, de façon pragmatique.
Ce que dit la loi sur les locations type Airbnb
Avant de parler d’actions, il faut poser le décor juridique. Plusieurs textes encadrent les locations saisonnières, en fonction de la situation de l’immeuble, de la ville et de l’usage du lot.
1. Destination de l’immeuble et règlement de copropriété
Le règlement de copropriété fixe la “destination de l’immeuble” et autorise (ou limite) certains usages :
- Immeuble “à usage exclusif d’habitation bourgeoise” : c’est la formule la plus restrictive. L’activité para-hôtelière ou commerciale peut être jugée contraire à la destination.
- Immeuble “à usage d’habitation bourgeoise et professionnel” : les professions libérales sont possibles ; les locations touristiques intensives restent discutables.
- Immeuble à usage mixte (habitation, commerces, bureaux) : plus de souplesse, mais les troubles aux autres lots restent encadrés.
Un propriétaire ne peut pas faire n’importe quoi dans son lot, même s’il en est pleinement propriétaire : il doit respecter la destination de l’immeuble et les clauses du règlement de copropriété.
2. Changement d’usage du logement (surtout dans les grandes villes)
Dans les communes de plus de 200 000 habitants (et certaines agglomérations, comme Paris, Lyon, Marseille…), le Code de la construction et de l’habitation impose une autorisation de changement d’usage lorsqu’un logement est transformé en meublé de tourisme loué de manière répétée à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile.
En pratique :
- Un particulier qui loue ponctuellement sa résidence principale (dans la limite de 120 jours par an) reste généralement dans les clous.
- Un logement loué en permanence sur Airbnb devient assimilable à un local à usage commercial : là, l’autorisation administrative est souvent indispensable, sous peine de sanctions financières lourdes.
Le conseil syndical n’est pas chargé de faire la police de la mairie, mais il peut rappeler ces obligations et, le cas échéant, alerter la collectivité en cas de dérives manifestes.
3. Meublé de tourisme, fiscalité et enregistrement
Dans de nombreuses communes, les meublés de tourisme doivent :
- Faire l’objet d’une déclaration en mairie (avec numéro d’enregistrement à afficher sur l’annonce).
- Se conformer à la réglementation locale (plafonds de nuitées, limitation du nombre de meublés, etc.).
- Être déclarés aux impôts comme revenus locatifs (point qui dépasse le strict cadre de la copropriété, mais qui montre qu’on est bien dans une activité réglementée).
Ces éléments ne sont pas directement contrôlés par le conseil syndical, mais ils font partie du paysage juridique que tout copropriétaire “Airbnb” est censé connaître.
4. Troubles anormaux de voisinage
Indépendamment de l’usage du lot, toute location ne doit pas engendrer de trouble anormal de voisinage : bruit, insécurité, dégradations répétées, occupation abusive des parties communes…
C’est souvent par ce biais que les copropriétés attaquent les locations saisonnières abusives : l’activité en soi n’est pas toujours interdite, mais ses conséquences peuvent être sanctionnées.
Ce que peut (ou non) prévoir le règlement de copropriété
Le règlement de copropriété est la première arme – et parfois la seule – dont dispose la copropriété face à Airbnb.
1. Interdire les locations meublées de courte durée ?
Tout dépend du texte :
- Si le règlement prévoit un usage exclusivement d’habitation bourgeoise, il est possible de considérer que des locations très fréquentes à une clientèle de passage sont contraires à cette destination.
- Certains règlements interdisent ou encadrent expressément les locations saisonnières ou l’activité para-hôtelière. Ces clauses sont précieuses pour agir.
- À l’inverse, si le règlement est muet, il sera plus difficile d’interdire purement et simplement les locations de courte durée, sauf à prouver des troubles anormaux.
2. Modifier le règlement pour encadrer Airbnb
Une copropriété peut décider, en assemblée générale, de modifier son règlement pour :
- Interdire les meublés de tourisme dans un immeuble très résidentiel.
- Limiter ou encadrer les locations saisonnières (interdiction de la location à la nuitée, par exemple).
- Rappeler la destination de l’immeuble et préciser qu’elle exclut l’activité para-hôtelière.
Attention : il s’agit d’une modification de la destination de l’immeuble ou des droits des copropriétaires, qui nécessite en principe la double majorité de l’article 26 (voire l’unanimité dans certains cas sensibles). Le conseil syndical a un rôle clé pour préparer cette évolution, convaincre, et rédiger des résolutions juridiquement solides.
3. Règlement intérieur et vie quotidienne
Au-delà du règlement de copropriété, un règlement intérieur ou des décisions ponctuelles d’AG peuvent préciser des règles pratiques :
- Modalités de remise des badges ou des clés (interdiction des coffres à clés dans les parties communes, par exemple).
- Horaires de respect du calme dans l’immeuble.
- Utilisation de l’ascenseur (capacité, respect des consignes, transport de valises volumineuses, etc.).
Ces mesures ne bloquent pas Airbnb, mais elles en limitent l’impact sur les autres occupants.
Les marges de manœuvre du conseil syndical
Le conseil syndical n’est ni juge, ni syndic, ni police municipale. Mais il dispose quand même de leviers très concrets pour encadrer les locations de courte durée dans l’immeuble.
1. Informer, rappeler, prévenir
Beaucoup de conflits naissent d’une simple ignorance des règles. Le conseil syndical peut :
- Rédiger une note d’information à destination de tous les copropriétaires, expliquant les conditions légales des locations saisonnières et les clauses du règlement.
- Diffuser un rappel des règles de bon voisinage à afficher dans les halls, ascenseurs, locaux poubelles.
- Échanger directement avec les copropriétaires identifiés comme loueurs Airbnb, surtout en cas de premières dérives : un dialogue posé évite souvent l’escalade.
2. Collecter des éléments factuels
En cas de litige sérieux, la clé est de sortir du “on dit” et de documenter les faits :
- Recueillir des témoignages écrits d’occupants (dates, heures, nature des nuisances).
- Conserver des photos ou vidéos des dégradations dans les parties communes.
- Surveiller les annonces en ligne (Airbnb, Booking, etc.) pour vérifier la fréquence des locations, la description du bien, le numéro d’enregistrement éventuel.
Ce travail de terrain permet ensuite au syndic ou à l’avocat de la copropriété d’agir sur des bases solides.
3. S’appuyer sur le syndic pour les mises en demeure
Le conseil syndical n’a pas de pouvoir de sanction directe. En revanche, il peut :
- Demander au syndic d’adresser une mise en demeure au copropriétaire concerné, en lui rappelant les clauses du règlement et les troubles causés.
- Préparer, avec le syndic, des résolutions pour la prochaine AG : approbation de poursuites, modification du règlement, adoption d’un règlement intérieur renforcé.
En pratique, une mise en demeure bien argumentée, qui montre que le conseil syndical ne laissera pas la situation pourrir, suffit parfois à calmer le jeu.
4. Proposer des actions en justice en AG
Si les nuisances persistent ou si un copropriétaire viole clairement la destination de l’immeuble, la copropriété peut :
- Voter, en assemblée générale, une action en justice contre le copropriétaire (pour faire cesser le trouble ou interdire l’usage litigieux).
- Demander des dommages et intérêts pour le préjudice subi par le syndicat des copropriétaires.
- Saisir le juge des référés en cas d’urgence manifeste (nuisances graves et répétées).
Le conseil syndical a alors un rôle d’interface : il prépare le dossier, aide le syndic et l’avocat à comprendre la réalité du terrain, et fait le lien avec les copropriétaires pour maintenir le soutien au contentieux.
Outils pratiques pour encadrer les locations saisonnières
Entre le laxisme total et la guerre ouverte, il existe une voie médiane, faite d’organisation et de règles claires.
1. Élaborer une charte “location de courte durée”
La copropriété peut adopter, en AG, une charte à destination des bailleurs saisonniers, prévoyant par exemple :
- L’obligation de communiquer le règlement intérieur à chaque locataire.
- Des consignes précises sur l’accès à l’immeuble (pas de diffusion publique du digicode, pas de coffre à clés dans les parties communes).
- Un numéro de téléphone d’urgence joignable en cas de nuisance (propriétaire, gestionnaire, conciergerie).
- Un rappel des sanctions possibles en cas de troubles répétés (actions judiciaires, astreintes, etc.).
Cette charte ne remplace pas le règlement de copropriété, mais elle le complète et donne un cadre clair aux loueurs de bonne foi.
2. Encadrer les dispositifs d’accès (badges, digicodes, clés)
Les problèmes de sécurité viennent souvent de là. La copropriété peut :
- Décider qu’aucun coffre à clés ne sera autorisé sur les façades ou dans les parties communes.
- Limiter la reproduction sauvage des badges via des systèmes sécurisés (badges numérotés, programmable, etc.).
- Changer régulièrement les codes d’accès si leur diffusion est manifestement incontrôlée.
Le conseil syndical peut être force de proposition sur le choix des dispositifs, leur ergonomie et leur coût.
3. Mobiliser le gardien ou les prestataires
Quand la copropriété dispose d’un gardien, celui-ci est souvent le premier à voir les effets d’Airbnb. Il peut :
- Signaler au conseil syndical les lots suspectés d’être loués en meublé de tourisme.
- Remonter les incidents quotidiens (bruits nocturnes, incivilités, dégradations).
- Veiller au respect des modalités d’accès (interdiction de laisser entrer toute personne sans vérification minimale).
À défaut de gardien, certains prestataires (société de ménage, de maintenance de l’ascenseur, etc.) peuvent aussi apporter des informations utiles.
4. Réfléchir, avec prudence, à la vidéosurveillance
Dans certains contextes, l’installation de caméras dans les parties communes (halls, parkings, locaux vélos) peut permettre :
- De dissuader certains comportements abusifs.
- De documenter les allers et venues en cas de litige.
Mais la vidéosurveillance est très encadrée (respect de la vie privée, obligation d’information, délibération d’AG, durée de conservation des images). Le conseil syndical doit travailler avec le syndic et, si besoin, un professionnel pour rester dans les clous.
Cas concrets et stratégies de réponse
Quelques scénarios typiques illustrent les options du conseil syndical.
1. Le copropriétaire qui loue “un peu trop souvent”, mais sans nuisances graves
Il s’agit souvent d’un logement mis en location de manière répétée, mais avec des locataires relativement discrets.
Stratégie :
- Vérifier la conformité au règlement (destination de l’immeuble, clauses spécifiques).
- Rappeler par écrit, via le syndic, les règles de bon usage de l’immeuble.
- Proposer à ce copropriétaire de signer la charte “location de courte durée” si la copropriété en a adopté une.
Objectif : garder un climat apaisé, sans laisser la situation se développer sans cadre.
2. Le “mini-hôtel” avec nuisances constantes
Plusieurs annonces en ligne, entrée-sortie à toute heure, fêtes régulières, boîtes aux lettres débordant de courriers administratifs, locataires qui se croient au club Med.
Stratégie :
- Collecter un dossier complet de preuves (témoignages, photos, copies d’annonces).
- Demander au syndic d’adresser une mise en demeure ferme, en rappelant les clauses du règlement et les troubles anormaux.
- Inscrire à l’ordre du jour de la prochaine AG une résolution autorisant une action en justice si la situation persiste.
- Le cas échéant, alerter la mairie sur un éventuel défaut de changement d’usage ou de déclaration de meublé de tourisme.
Objectif : faire cesser l’activité para-hôtelière qui dénature l’immeuble et nuit à la tranquillité de tous.
3. La copropriété qui veut interdire purement et simplement Airbnb
Dans certains immeubles très résidentiels, les copropriétaires veulent verrouiller le sujet une bonne fois pour toutes.
Stratégie :
- Faire analyser le règlement de copropriété par un professionnel (avocat, notaire) pour déterminer la marge de manœuvre.
- Rédiger un projet de clause claire sur l’interdiction des meublés de tourisme ou de la location à la nuitée.
- Inscrire la modification à l’ordre du jour, en visant la majorité requise (souvent l’article 26).
- Préparer en amont un travail de pédagogie auprès des copropriétaires : expliquer les enjeux, les risques, les avantages attendus.
Objectif : sécuriser juridiquement l’immeuble et limiter à l’avenir les contentieux individuels.
Questions fréquentes en conseil syndical
Un copropriétaire peut-il louer sa résidence principale sur Airbnb ?
Oui, sous réserve de respecter le règlement de copropriété, la destination de l’immeuble, les règles municipales (déclaration, 120 jours par an dans certaines villes) et de ne pas créer de troubles anormaux. Le conseil syndical ne peut pas interdire ce que la loi autorise, mais peut agir en cas d’abus.
Peut-on mettre des amendes aux copropriétaires qui font du Airbnb ?
Le règlement de copropriété peut prévoir des pénalités pour non-respect de certaines obligations (article 10-1 de la loi de 1965), mais dans un cadre strict et après décision d’AG. On ne crée pas librement un “barème d’amendes Airbnb”. En pratique, l’arme principale reste l’action en justice pour faire cesser le trouble ou l’usage illicite.
Le conseil syndical peut-il contrôler les annonces Airbnb ?
Il peut bien sûr les consulter (elles sont publiques) et les conserver comme éléments de preuve. En revanche, il ne peut pas se substituer aux services fiscaux ou à la mairie pour sanctionner un défaut de déclaration ou un dépassement de quotas. Son rôle est de protéger l’intérêt collectif de la copropriété.
Que faire si le syndic refuse d’agir ?
Le conseil syndical peut :
- Demander formellement au syndic, par écrit, de mettre le sujet à l’ordre du jour de la prochaine AG.
- Proposer lui-même des résolutions rédigées (mise en demeure, action en justice, modification du règlement).
- En cas d’inaction persistante et préjudiciable, remettre en cause le mandat du syndic à l’AG et proposer un changement de syndic.
Les locations Airbnb en copropriété ne sont pas un sujet anecdotique : elles touchent à la tranquillité, à la sécurité, à la valeur du bâti et à la cohésion des occupants. Le conseil syndical n’a peut-être pas tous les pouvoirs, mais il a un rôle central pour organiser la réaction de la copropriété : informer, cadrer, documenter, et, quand il le faut, pousser à l’action collective. Entre laisser-faire et blocage dogmatique, il y a une large marge d’action pour retrouver un équilibre acceptable entre droit individuel de louer son bien… et droit collectif de vivre dans un immeuble qui ne se transforme pas en hall de gare.
